Hanoï (Vietnam) – Le roman "Le chagrin de la guerre" de Bao Ninh a récemment été déclaré l'une des 50 œuvres littéraires majeures du Vietnam depuis 1975. Cette annonce a déclenché une vive réaction auprès des conservateurs, qui jugent que ses descriptions crues du conflit vietnamien nuisent à l’héroïsme des vainqueurs.
La discussion enflammée sur les réseaux sociaux n'a cependant fait qu'attiser l'intérêt pour ce classique, avec de nombreux lecteurs tentant désespérément de se procurer le livre dans les librairies de Hanoï. "Je n'ai découvert ce roman que grâce à ces échanges en ligne", témoigne Le Hien, un jeune lecteur de 25 ans, qui a constaté une pénurie dans les rayons.
Publiée pour la première fois en 1987, l'œuvre relate l'histoire d'un soldat nord-vietnamien dont le bataillon a été décimé. Le personnage principal est hanté par ses souvenirs, notamment des événements tragiques et dévastateurs qu'il a vécus, rappelant la brutalité de la guerre plutôt que les récits de bravoure typiques.
À l'étranger, "Le chagrin de la guerre" a été salué dès sa sortie. Cependant, à l'intérieur du pays, il a souvent suscité des controverses, car les récits de guerre préfèrent généralement glorifier le sacrifice et le héroïsme des combattants. Le récent ajout du roman au Top 50 a ravivé le débat, suscitant à la fois des critiques et un élan de soutien parmi les jeunes générations.
Un ancien responsable de la propagande militaire, Nguyen Thanh Tuan, a exprimé son indignation sur les réseaux sociaux, accusant le livre de minimiser les sacrifices de millions de Vietnamiens. Son appel à retirer le livre de la liste a rapidement gagné du soutien, en particulier auprès d'anciens combattants. Toutefois, de nombreux écrivains et critiques soutiennent que le livre permet une exploration plus profonde et nuancée de la vérité humaine et des souvenirs douloureux qui persistent après la guerre. La critique littéraire Ha Thanh Van souligne que la capacité du roman à toucher les lecteurs près de quarante ans après sa publication témoigne de son intensité émotionnelle et de son indication vers le traumatisme perçu.
Ngoc Tran, une élève de terminale, abonde dans ce sens, affirmant que le récit ne ternit pas l'image des soldats vietnamiens, mais souligne plutôt les complexités de la nature humaine. Les ventes de ce roman, jadis peu médiatisé, ont connu un boom, particulièrement parmi les jeunes lecteurs qui n’étaient pas nés à l'époque de sa publication. Les librairies de la ville, témoignant d'une forte demande, ont constaté une rupture de stock sans précédent.
Nguyen Hai Dang, représentant de l'éditeur Tre, a confirmé que les commandes avaient explosé, précisant qu'une réimpression est en cours après que 15 000 nouvelles copies aient été imprimées depuis le début de l'année. Ce phénomène témoigne de l'éveil d'un nouvel intérêt pour la littérature vietnamienne, permettant d’inviter des générations plus jeunes à redécouvrir ce chef-d'œuvre intemporel.







