À l'approche du 120ème anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l'État, la France ne fait pas le choix de la laïcité par un simple décret, mais à l'issue d'un parcours complexe alliant réflexion philosophique et mouvement politique. La liberté de conscience, pierre angulaire de notre république, ne surgit pas d'une simple déclaration, mais résulte d'une longue maturation, catalysée par les idées des Lumières, les mouvements révolutionnaires, les compromis du XIXe siècle et des décisions institutionnelles majeures de la IIIe République.
Dès le XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières contribuent à ébranler les fondements d'un modèle monarchique fondé sur l'unité confessionnelle. Voltaire, ardent défenseur de la tolérance, en fait un pilier de la paix civile, s'engageant dans des affaires emblématiques comme celles de Calas et du chevalier de La Barre pour dissocier justice et vengeance religieuse. Les Encyclopédistes, menés par Diderot, plaident pour une émancipation du savoir face au clergé, convaincus que l'instruction est essentielle pour forger des citoyens critiques.
La Révolution française consacre la première rupture avec l'autorité religieuse en abolissant les privilèges du clergé et amorce l'idée d'un État dont l'autorité ne repose plus sur des vérités religieuses. Cependant, cette rupture ne s'installe pas immédiatement, comme le montre le Concordat de 1801, instauré sous Napoléon, qui établit une coopération entre l'État et l'Église catholique, reconnue comme « religion de la majorité des Français ». Cet accord, tout en plaçant l'État au-dessus des affaires religieuses, permet au clergé de conserver une influence dans l'éducation et la vie sociale.
Le tournant majeur survient avec l'affirmation définitive de la République après 1870. Pour les républicains, l'Église devient un contre-pouvoir idéologique majeur, comme l'indique Léon Gambetta en 1877 en qualifiant le cléricalisme de principal ennemi. L'objectif devient alors de limiter l'influence de l'Eglise dans la vie publique sans remettre en cause la foi individuelle.
L’émergence de Jules Ferry à la tête de l’Instruction publique marque un tournant dans l'histoire de l'éducation. Les lois scolaires des années 1880 établissent la laïcité moderne, avec la gratuité de l'école en 1881, l’obligation éducative introduite par la loi de 1882 et la laïcisation des enseignants, passant la main aux valeurs de raison et d'égalité entre les sexes. En quelques années, l'école devient le terreau d'un esprit critique et d'une citoyenneté éclairée.
Ce parcours prépare le terrain à la loi de 1905 qui consacre la séparation des Églises et de l'État en affirmant que la République ne « reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte », garantissant à chacun la pleine liberté de croire ou de ne pas croire. Ce dispositif n'élimine pas la religion mais la relègue à la sphère privée, libérant l’État des engagements confessionnels.
Ainsi, au fil d'un siècle, la souveraineté a évolué d'un pouvoir religieux vers un régime basé sur la raison et le débat démocratique. Cette lente, mais significative évolution, résonne encore dans les discussions contemporaines sur la liberté de croyance et l’espace public, témoignant de la complexité de notre héritage laïque.







